Par une décision de son Conseil d’administration en date du 25 septembre 2017, le FGTI s’est enfin prononcé sur les modalités d’indemnisation des préjudices d’angoisse et d’attente des victimes d’actes de terrorisme (Cf communiqué de presse du même jour).
Cette décision est l’aboutissement d‘un travail mené ab initio par le groupe de contact des avocats de victimes de terrorisme qui ont mis en commun leurs observations nées de la défense des victimes des attentats de novembre 2015 pour préconiser la reconnaissance et une méthode d’indemnisation du préjudice d’angoisse des victimes directes et d’attente ou d’inquiétude des victimes indirectes des faits de terrorisme.
A la suite de ce Livre Blanc, les Ministres de la Justice, de l’Économie et des Finances et la Secrétaire d’État chargée de l’Aide aux Victimes ont souhaité constituer un groupe de travail chargé de se prononcer sur l’indemnisation de ces préjudices. Cette Commission présidée par Madame Porchy-Simon a rendu son rapport au mois de février 2017 concluant à la reconnaissance d’un préjudice d’angoisse autonome des autres postes de préjudices et proposant un certain nombres de critères pour en effectuer l’évaluation (Cf. Observations sur le rapport Porchy-Simon sur les préjudices situationnels d’angoisse). Il convient d’ores et déjà de souligner la qualité du travail effectué par cette commission et regretter d’emblée le peu de considération que le Conseil d’administration lui a accordé.
Par une décision en date du 27 mars 2017, le conseil d’administration du FGTI s’est prononcé à l’unanimité en faveur du principe de la reconnaissance du préjudice d’angoisse des victimes directes et du préjudice d’attente et d’inquiétude des victimes indirectes d’actes de terrorisme tout en ” considérant que cette reconnaissance de principe ne tranchait pas la question du caractère autonome de ces préjudices, ni celle des personnes qui pourront être indemnisées à ce titre. Ces questions seront examinées par le conseil d’administration au vu des recommandations du groupe de travail qu’il a constitué en son sein, et dont il a circonscrit la mission ” (Cf communiqué de presse du même jour qui ne figure plus sur son site mais dont le fichier .pdf a été conservé) .
Sans que malheureusement le Fonds de Garantie n’ait jamais communiqué sur les conclusions du groupe de travail constitué en son sein 1, le Conseil d’administration, par une décision du 25 septembre 2017 a décidé que :
1. Préjudice d’angoisse des victimes directes (victimes décédées et victimes blessées, physiquement ou psychiquement) :
Ce préjudice sera présumé pour les victimes décédées.
Évalué en fonction de la situation de la victime, il sera compris entre 5 000 et 30 000 €.
Pour les victimes blessées, il sera décrit de manière détaillée, et sera individualisé dans le cadre de l’expertise médicale. Son montant sera compris entre 2 000 et 5 000 €.2. Préjudice d’attente et d’inquiétude des proches des victimes décédées :
Afin de mieux prendre en compte les souffrances liées à la disparition des personnes les plus proches, pouvant inclure l’attente précédant l’annonce du décès, le conseil d’administration s’est prononcé pour une majoration de l’évaluation du préjudice d’affection comprise entre 2 000 et 5 000 €.3. Préjudice exceptionnel spécifique des victimes du terrorisme : Le conseil d’administration a décidé de maintenir le PESVT, sauf pour les personnes n’ayant pas été directement visées par l’attentat. Cette mesure ne s’appliquera cependant pas aux victimes des attentats déjà survenus, mais uniquement aux éventuels attentats futurs.
Passée l’éphémère satisfaction de voir que le Livre Blanc puis le Rapport Porchy-Simon ne sont pas restés lettre morte, on ne peut qu’être saisie par l’étrangeté de ces modalités et surtout sa mise en application dans l’avenir… qui constitue ni plus ni moins un incontestable recul pour les victimes !
1 - Sur le préjudice d’angoisse des victimes directes.
* Sur le préjudices des victimes directes décédées
Si le communiqué n’exclut pas le caractère autonome de préjudice d’angoisse il est remarquable de noter qu’il ne l’affirme pas non plus. Ce point est éminemment regrettable et entretient -sans doute à dessein- une confusion entre différents postes de préjudices distincts.
Il est difficile de ne pas s’interroger sur les préjudices propres aux personnes décédées au cours des attentats (et transmis à leur ayant-droits) avant la survenue de leur décès : est-ce à dire que le préjudice d’angoisse désormais présumé interdirait de facto l’indemnisation de ces autres postes de préjudices (et notamment les postes de préjudices temporaires) ? Une telle solution serait parfaitement contraire à la jurisprudence.
* Sur le préjudice des victimes directes survivantes
Outre l’insulte faite aux victimes directes survivantes d’évaluer à des montants aussi dérisoires un préjudice intense et subi pendant un temps parfois considérable (rappelons à titre d’exemple que l’assaut de la BRI au Bataclan a eu lieu plusieurs heures après le début de la prise d’otage), les conditions de son indemnisation posent de réelles difficultés de mise en œuvre. On rappellera que le Livre Blanc puis la Commission Porchy-Simon avait conclu que ce poste de préjudice “spécifique du fait de son caractère situationnel”2 devait “clairement”3 être évalué “en dehors de toute expertise médicale”3.
On comprend dès lors mal pourquoi le recours à l’expertise médicale est imposé aux victimes survivantes. Et on ne manquera pas de remarquer qu’en l’absence de toute définition médico-légale de ce préjudice d’angoisse, il sera impossible à des médecins de se prononcer sur l’existence d’un tel préjudice… Or la seule définition -juridique- claire qui en existe est actuellement celle du rapport Porchy-Simon lequel retient des critères… situationnels… et qui, par principe, ne dépendent pas d’une appréciation médico-légale.
2 - Sur le préjudice d’angoisse des victimes indirectes.
Il est proprement stupéfiant que le Fonds de Garantie limite l’indemnisation de ce poste de préjudice aux seuls proches des victimes décédées ! Cette limitation est non seulement moralement inacceptable mais est elle juridiquement insoutenable.
Il convient de rappeler que le préjudice d’attente et d’inquiétude est précisément celui des proches qui n’avaient pas connaissance du sort de leur enfant, sœur ou parents exposés à l’attentat terroriste. La définition retenue par la Commission Porchy-Simon mérite d’être rappelée :
“préjudice autonome lié à une situation ou à des circonstances exceptionnels résultant d’une acte soudain et brutal, notamment d’un accident collectif, d’une catastrophe, d’un attentat ou d’un acte terroriste, et provoquant chez le proche, du fait de la proximité affective avec la victime principale, une très grande détresse et une angoisse jusqu’à la fin de l’incertitude sur le sort de celle-ci.
(…)
Ce préjudice sera donc indemnisable que la victime principale soit morte, blessée ou sorte, hypothèse toutefois peu probable, indemne de l’évènement (page 54 du rapport)
La commission relevait en effet une évidence juridique : il est impossible de faire disparaître rétrospectivement un préjudice d’ores et déjà subi4 ! Par ailleurs, ne pas avoir connaissance du sort de son enfant, de sa sœur ou de sa mère est précisément l’élément constitutif de ce préjudice. Il est impossible de conditionner l’existence d’un préjudice à une issue sur lesquels les victimes n’ont aucune prise.
Rappelons que dès lors qu’un préjudice est direct et certain (et au cas particulier, il l’est bien avant l’existence d’une annonce funeste ou non), il doit être réparé. Refuser d’indemniser les proches des victimes vivantes (et parfois très grièvement blessées) n’est pas seulement d’une violence inouïe mais constitue un véritable non sens juridique.
3 - Sur la disparition du PESVT [préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’attentat)
On ne peut que regretter la rédaction pour le moins absconse de la 3ème mesure “en faveur des victimes” (sic) qui annonce la disparition du PESVT ” pour les personnes n’ayant pas été directement visées par l’attentat “, cette mesure trouvant à s’appliquer pour les victimes des éventuels attentats futurs.
Aucune définition, aucune indication, ne permet de déterminer qui sont ces personnes non visées directement. S’agit-il des victimes indirectes ? S’agit-il des victimes directes ? On subodore qu’il s’agit des victimes dites du “cercle 2”5 mais sans aucune certitude. Si elles ne sont pas “directement visées par l’attentat”, il est à craindre qu’elles ne puissent, de surcroît, prétendre à un préjudice d’angoisse. De multiples interrogations se dressent sans aucun indice pour y répondre. Seule évidence, les victimes dont s’agit, vont incontestablement voir leur indemnisation drastiquement diminuée. Compte tenu de la gravité d’une telle suppression, il est pour le moins urgent que le Fonds s’explique sur cette mesure et sur la catégorie de victimes visées.
En conclusion, on ne peut que s’interroger sur le sens que le Fonds de Garantie donne à “avancée majeure” ou “réparation plus complète” puisque sous couvert de “mieux” réparer les victimes, il nous apparaît, bien au contraire, que c’est bien d’un incontestable recul du droit des victimes de terrorisme dont il se rengorge.