Le rapport de la Commission présidée par madame Porchy-Simon sur les préjudices situationnels d’angoisse (disponible au format.pdf) a été présenté le 6 mars dernier et fait suite au livre blanc sur les préjudices subis lors des attentats du 13 novembre 2015 (présenté et téléchargeable ici).
En premier lieu, il convient de saluer le travail de la commission dont on craignait — un brin échaudée — qu’il ne s’agisse d’un énième comité reléguant les propositions dans l’intérêt des victimes au rang de vœux aussi pieux que compassionnels. La lecture du rapport a donc été particulièrement réjouissante et ce autant par la qualité du travail que par le sens des propositions : Oui, les victimes directes et indirectes de faits terroristes ont incontestablement subi un préjudice d’angoisse au cours de l’événement terroriste auquel elles ont été confrontées.
A - Sur la reconnaissance du préjudice d’angoisse
1 - Principe d’autonomie du préjudice d’angoisse
Qu’il s’agisse de victimes directes ou de victimes indirectes, la commission reconnaît donc l’existence d’un préjudice situationnel d’angoisse parfaitement autonome des autres postes de préjudices contenus dans la nomenclature Dintilhac. Si la question de l’autonomie n’avait pas été abordée dans le Livre Blanc des victimes d’attentats (lequel s’était principalement concentré sur sa caractérisation) le raisonnement suivi par la Commission nous semble aussi censé que rigoureux. Au delà de la constatation de son incontestable existence dans l’histoire et le ressenti des victimes, force est de constater que ni les postes de souffrances endurées, ni celui du déficit fonctionnel permanent ou temporaire pas plus que le préjudice permanent exceptionnel ne sont stricto sensu compatibles avec lui. C’est la raison pour laquelle la Commission recommande l’intégration du préjudice d’angoisse de la victime directe au sein des préjudices extrapatrimoniaux temporaires et pour les victimes indirectes dans les préjudices extrapatrimoniaux à la fois en cas de décès de la victime directe et en cas de survie de celle-ci.
Plus étonnamment, et alors même que la Commission ne regrette (avec nous !) l’absence de définition du PESVT (préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme) lequel n’est pas décrit dans la nomenclature Dintilhac mais est servi par le FGVTI aux victimes d’attentats afin de tenir compte de la spécificité des préjudices subis, elle conclut que le préjudice d’angoisse ne saurait se confondre avec ce préjudice exceptionnel. Dont acte.
2 - Préjudice situationnel
Le préjudice d’angoisse résulte de la présence de la victime directe sur les lieux même de l’évènement et est lié à la conscience d’être confronté à la mort. S’agissant du préjudice d’angoisse de ses proches, il découle de l’incertitude quant au sort de la victime directe et prend fin avec la levée de l’incertitude concernant celle-ci.
C’est bien la seule présence sur les lieux qui caractérise ces préjudices d’angoisse et non l’issue ultérieure de cette situation (décès, blessures physiques ou atteinte psychologique).
Par ailleurs, c’est l’existence de cette situation proprement exceptionnelle des actes terroristes ou des accidents collectifs qui permet de retenir un préjudice d’angoisse et ce poste de préjudice doit être réservé “aux situations ou circonstances exceptionnelles résultant d’un acte soudain et brutal, notamment d’un accident collectif, d’une catastrophe, d’un attentat ou d’un acte terroriste”. Si l’emploi de l’adverbe notamment permet d’envisager d’autres situations exceptionnelles que les accidents collectifs ou les actes de terrorisme, la Commission met cependant en garde contre sa généralisation à “n’importe quel accident” (Cf. page 50 du rapport).
B - Sur l’évaluation du préjudice d’angoisse
Malheureusement, ce rapport nous enseigne une fois encore qu’au chapitre de l’évaluation (domaine des praticiens s’il en est), la commission, composée de façon très majoritairement de professeurs de droit, n’a traité cette question qu’à grand traits de principe réaffirmés sans permettre de façon effective la mise en œuvre desdits principes 1…
Absence d’évaluation médico-légale
Cet aspect, très largement développé dans le livre blanc a été adopté par la Commission. Nul besoin d’expertise pour constater l’existence de ce préjudice d’angoisse pas plus que pour procéder à son évaluation.
Appréciation in concreto
Le principe de son appréciation in concreto (par référence à la situation concrète de la victime confrontée à cet événement et non de façon abstraite) et mutatis mutandis le refus de toute évaluation forfaitaire est réaffirmé par la Commission…alors qu’elle propose quelques lignes plus bas ni plus ni moins qu’une catégorisation des victimes afin de procéder à l’évaluation de leur préjudice d’angoisse :
Pour un même évenement, il résulte (…) que plusieurs victimes, placées dans la même situation, pourront être indemnisées sur la même base, si elles ont été exposées de la même manière à la situation dommageable. Il semble donc ainsi possible de définir, dans chaque cas concret, des groupes affinés de victimes confrontées à une même situation, qui se verront reconnaître l’indemnisation de leur préjudice situationnel d’angoisse dans les mêmes conditions. (page 50 du rapport)
La Commission, tout en s’en défendant fermement, ne propose ni plus ni moins qu’une méthode de forfaitisation ignorant sans doute que deux victimes exposées aux mêmes circonstances à quelques mètres d’écart peuvent avoir un préjudice parfaitement distinct. Cette profonde singularité est, par ailleurs, encore plus flagrante s’agissant des victimes indirectes. Là où le Livre Blanc s’attachait à l’individualisation des préjudices d’angoisse de chacune des victimes considérées personnellement (16 critères étaient retenus afin de tenir compte de ces particularités), la Commission les catégorise au prétexte de complexité (voir note 1 plus bas), ce que l’on ne peut qu’évidemment regretter…
Critères et méthode d’évaluation.
* Pour les victimes directes
La Commission retient trois critères généraux :
- La durée d’exposition
- La proximité du danger
- Les circonstances particulières (reprenant des exemples du Livre Blanc)
Elle préconise, par ailleurs, qu’une liste de critères plus précis soit définie en fonction des circonstances spécifiques de chaque événement (soulignant — avec raison — que les critères du Livre Blanc étaient propres aux attentats du 13 novembre 2015) par des comités ad hoc d’experts indépendants.
Si l’idée paraît bonne, sa mise en pratique nous interroge. Déterminer les critères d’évaluation propres à chaque attentat terroriste signifie en avoir une connaissance particulière et donc connaître non seulement le récit qu’en font les victimes (si tant est qu’elles soient en vie) mais également avoir accès aux éléments de faits contenus dans les éléments de l’enquête puis de l’instruction et de pouvoir éventuellement échanger des informations nécessairement couvertes par le secret de l’instruction. Par ailleurs, la constitution et la réunion de tels comités nécessite de s’inscrire dans le temps et demande une durée qui peut être incompatible avec la liquidation de ces préjudices extrapatrimoniaux temporaires. Il est par ailleurs à craindre que les pouvoirs publics, confrontés dans le cas d’attentats terroristes à différentes missions de maintien de l’ordre, ne fassent pas une priorité de la constitution de tels comités étant entendu que la détermination d’experts “indépendants” est illusoire. Ceux qui connaissent à la fois la spécificité des préjudices subis par les victimes d’attentats, les règles pratiques de base de la réparation du dommage corporel et les circonstances précises des faits terroristes auxquelles ont été confrontées les victimes sont principalement le Fond de garantie et les Conseils des victimes. Les associations de victimes peuvent bien évidemment y avoir leur place mais dans la mesure où nombre d’entre elles se constituent postérieurement aux faits terroristes, elles ne sont pas nécessairement constituées ni leur légitimité assurée lors de la création de tels comités.
Il nous paraît que l’élaboration d’une grille de critères généraux plus nombreux était parfaitement envisageable. S’il n’est pas contesté que le Livre Blanc résulte de l’analyse des traumatismes subis par les victimes du 13 novembre, il n’en demeure pas moins que notre pratique a montré ultérieurement que l’utilisation de sa méthode dans les attentats de janvier 2015 ou de Nice est parfaitement satisfaisante.
* Pour les victimes indirectes :
La Commission retient deux critères généraux :
- La proximité du lien affectif
- La durée et les conditions de l’attente
La Commission préconise également que l’on retienne les circonstances particulières et que l’on adapte ces critères en fonction des “circonstances spécifiques” sans définir précisément ni la méthode ni la façon dont s’articulent les critères entre eux.
Le flou tant des critères que de leur nombre ou de leur intrication entre eux fait évidemment craindre aux praticiens la forfaitisation d’emblée du préjudice d’angoisse… là où, encore une fois, le Livre Blanc insistait sur son extrême singularité.
C - Prospectives :
Le dépôt de ce rapport devrait pouvoir produire des effets rapidement dans les dossiers d’ores et déjà engagés puisque :
Au plan opérationnel, le Fonds (de garantie) souhaite qu’une clarification sur les postes de préjudices d’angoisse et d’attente intervienne rapidement, afin que les procédures d’indemnisation en cours puissent être finalisées à court terme, dans l’intérêt des victimes. (page 33 du rapport)
La Commission en page 57 a d’ailleurs décrit précisément les effets dans le temps de la reconnaissance de ces préjudices d’angoisse. Les victimes qui ont d’ores et déjà été indemnisées sont recevables à solliciter la réparation de ce préjudice non encore liquidé (si tant est que l’angoisse dont s’agit n’a pas été prise en compte antérieurement dans le poste de pretium doloris). Si elles n’ont pas été déjà indemnisées, ces postes de préjudice sont immédiatement réparables (sous réserve de la non acquisition de la prescription de 10 ans à partir de la consolidation des dommages).
Il ne reste plus qu’à connaître la position du Fonds de garantie et des pouvoirs publics pour savoir quel sort sera réservé à ce rapport. Il ne faut en effet pas être dupe. Sans une volonté politique claire, il est à craindre que l’indemnisation de tels postes reste lettre morte.
Nous attendons donc avec une particulière impatience les positions officielles des pouvoirs publics et du Fonds de garantie sur les préconisation de ce rapport !
Edit 28 mars 2017 : le FGVTI s’est prononcé sur la reconnaissance du préjudice d’angoisse des victimes directes et du préjudice d’attente et d’inquiétude des victimes indirectes.