« Faute — Lien de causalité — Préjudice », c’est le « rosa — rosae — rosam » des étudiants civilistes de première année. La règle est ancestrale et on la croyait sue de ceux qui font nos lois. Pourtant un projet d’ordonnance du ministère du travail, envisage sans désamparer de mettre en place un référentiel indicatif relatif à l’indemnisation des licenciements abusifs.
La mesure nous dit-on permettra de donner « sécurité et visibilité sur les contentieux potentiels » (sic !). L’idée n’est pas nouvelle, elle avait d’ores et déjà été introduite lors de la préparation de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dite loi Macron et avait soulevée nombre de critiques de la part des juristes. Las, après être sortie par la petite porte, l’idée fait dorénavant une entrée en fanfare dans ce projet de cinq ordonnances sur “le renforcement du dialogue social”. Sans s’attarder sur le raisonnement inquiétant de nos gouvernants qui considérent que museler les juges renforce le dialogue social (!) , on peut déjà constater que cette barémisation trouverait à s’appliquer aux licenciement sans cause réelle ni sérieuse et donc… aux licenciements abusifs, l’abus étant en l’occurrence constitutif d’une faute à l’origine d’un préjudice subi par le salarié.
Fi donc du principe de la réparation intégrale, pierre angulaire de notre système de droit. Aux orties, le mécanisme de la responsabilité pour faute. Plutôt que de limiter l’existence d’une faute — car, dans les faits, c’est bien de cela dont il s’agit, le courage en moins de le reconnaître — on en limite l’indemnisation ! Ce projet d’ordonnance prévoit, ni plus ni moins, dans l’intérêt du fautif, la limitation de l’indemnisation du préjudice subi par la personne lésée. Il est difficile, enfin, de ne pas constater pour regretter —une fois encore — cette défiance manifeste qu’inspirent nos juges à nos gouvernants et les illogismes qu’elle provoque.
Je vous prédis l’favenir : la tentative de barémisation des préjudices corporels dans l’intérêt supérieur des régleurs soumis à des techniques assurantielles de prévisibilité du risque, solution qui permettra au surplus de ne plus recourir à l’office des juges, ces dangereux idéalistes qui pourraient bien être tentés de faire application de vieux principes tels que replacer la victime aussi exactement que possible dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu et ce sans aucun égard pour les états d’âme du fautif ou de son régleur… Et si cela devait survenir, souhaitons que la CEDH sache faire barrage à de telles chimères.
On aimerait parfois que ceux qui cassent le thermomètre pour faire descendre la température reviennent de temps à autres poser une fesse sur les bancs de la faculté de droit.