Particulièrement inquiets de la réforme annoncée sur le JIVAT (Juge de l’indemnisation des vicitimes d’actes de terrorisme) un collectif d’avocat, dont je fais partie, a signé une tribune publiée dans le Le Monde dont le texte est le suivant :

Tribune. « Cherche et tu trouveras », dit l’adage. Nous avons beau chercher et chercher encore, on n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi l’article 42 bis AA du projet de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, pourtant totalement défavorable aux victimes d’attentats, amène gouvernement, sénateurs et bientôt – mais espérons un sursaut – députés à se féliciter de cette initiative malheureuse du pouvoir exécutif ?

Mais le temps est compté, car l’examen du projet de loi en séance publique de l’Assemblée nationale a débuté le 19 novembre et si les amendements déposés par quelques courageux députés ne sont pas adoptés, la messe sera dite : enterrée, la possibilité pour le juge pénal de prononcer la condamnation pénale des terroristes à l’indemnisation des victimes. Si les victimes pourront encore se constituer partie civile, elles ne pourront, en revanche, plus rien lui demander.

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Enterrée, aussi, la possibilité pour les juges civils des villes ayant connu des actes de terrorisme de statuer sur les dommages des victimes qui ne seraient pas parvenues à transiger avec le Fonds de garantie (et pour cause parfois), car désormais seul le tribunal de grande instance de Paris aura compétence pour accueillir tous les contentieux de l’indemnisation des actes de terrorisme. On nous parle du juge de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme (Jivat) qu’on nous présente comme un juge unique parisien (sous-entendu spécialisé) de l’indemnisation de toutes les victimes d’actes du terrorisme. Mais où est-il ? Là encore, nous l’avons cherché. Pas de juge dans le texte.

Barème des indemnisations

Il est indiqué qu’à la date de la promulgation de la loi tous les dossiers en cours doivent être transférés à Paris. Mais rien dans le texte ne consacre l’existence d’une chambre ultra-spécialisée du tribunal dans laquelle siégeraient des magistrats ayant reçu une formation ultra-spécifique à l’indemnisation des dommages. Rien, non plus, sur les délais raccourcis qui favoriseraient l’accélération de ces procédures.

En revanche, ce qu’on voit à la porte du tribunal de grande instance de Paris, c’est bien la proclamation d’un barème des indemnisations, du préjudice d’angoisse et de tous les autres postes de préjudices. Car s’il n’y a plus qu’un seul et unique tribunal en France pour faire entendre les avocats de victimes, c’est aussi la jurisprudence qui se trouvera enterrée et, avec elle, la diversité des victimes. Est-ce la volonté du peuple ?

Qu’on nous explique aussi ce que les victimes ont à gagner, alors que l’article 42 bis AA donne au Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et aux autres infractions, régleur de l’indemnisation, des pouvoirs d’investigation exorbitants en l’autorisant à interroger assurances, fisc, organismes sociaux… sans aucune autorisation de la victime. Visiblement choquée elle aussi, la commission des lois de l’Assemblée nationale a considéré qu’il fallait, au moins, prévenir la victime de ces démarches. Insuffisant.

Apparence d’impartialité

Qu’ont-elles encore à gagner à ce que le Fonds de garantie ne puisse plus choisir ses médecins-conseils que dans le vivier des experts judiciaires, alors que le texte nous explique que les médecins-conseils du Fonds de garantie qui ne sont pas experts judiciaires doivent en faire la demande pour pouvoir être désignés ?

« La problématique des victimes est au cœur des préoccupations de l’Etat »

Depuis juillet, l’aide aux victimes a un nouveau visage, celui d’Elisabeth Pelsez, magistrate, déléguée interministérielle, rattachée au ministre de la justice. Elle livre ses ambitions sur la politique à mener pour prendre en compte dans la durée les problématiques rencontrées par les victimes.

Quel était votre diagnostic sur le travail réalisé par vos prédécesseurs ?

En prenant mes fonctions, j’ai constaté qu’il y avait beaucoup à faire, que de nombreux chantiers devaient être poursuivis, mais que beaucoup avait déjà été fait. J’ai souhaité m’inscrire dans cette dynamique, dans la lignée des avancées obtenues après les attaques de 2015, qui ont par exemple permis la création de comités locaux de suivi des victimes d’attentat, et que nous avons généralisés à toutes les victimes.

En écoutant les associations de victimes, j’ai constaté que leurs problématiques évoluaient dans le temps. Il a fallu établir de nouvelles priorités, comme celle de répondre aux besoins de reconversion des victimes, en mettant en place une formation professionnelle adaptée.

Le statut de victime est-il suffisamment reconnu ?

Depuis une dizaine d’années, la problématique des victimes est au cœur des préoccupations de l’Etat, apparaissant comme une évidence. Ces dernières années, des phénomènes nouveaux sont apparus. Je pense évidemment aux attentats, mais aussi aux accidents collectifs, ou aux catastrophes sanitaires.

La prise en charge des victimes est l’affaire de tous. Si les causes du statut de victime sont diverses, j’ai pu constater qu’il y avait des similitudes dans ce qu’elles pouvaient traverser et les étapes de résilience sont identiques. C’est notamment pour cela que les nombreux travaux réalisés après les attentats du 13-Novembre seront utiles à d’autres, notamment s’agissant de la prise en charge du stress post-traumatique. Les attentats ont également permis d’aller plus loin dans la reconnaissance des droits des victimes et il faut poursuivre dans ce sens.

Les associations se sont inquiétées de voir l’aide aux victimes délaissée du fait de la suppression du secrétariat d’Etat. Estimez-vous avoir suffisamment de moyens ?

Je travaille avec huit personnes, bientôt neuf. Ce sont les mêmes effectifs que ceux dont bénéficiait le secrétariat général aux victimes. A cela s’ajoutent des référents nommés dans chaque ministère, véritables points d’appui pour porter les mesures. Sans compter que le président de la République et le premier ministre considèrent l’aide aux victimes comme une problématique au cœur des préoccupations de l’Etat.

A l’heure de la transparence, alors que nous sommes entrés dans l’ère de la déclaration publique d’intérêt, où l’indépendance prime sur le mélange des genres, voilà qu’on décide que l’expert du Fonds de garantie sera le même que celui du juge. Enterrée, là aussi, l’indépendance des experts judiciaires à qui on défendait, jusqu’ici, de cumuler les casquettes, car l’apparence d’impartialité exigée par notre belle Convention européenne des droits de l’homme l’interdit.

Si le Jivat est la promesse faite aux associations de victimes d’une justice plus rapide, plus adaptée, plus égale, il ne faut pas oublier que les promesses n’engagent que ceux qui les croient et ce n’est pas ce texte qui viendra dire le contraire.

Les signataires de cette tribune sont tous avocats : Elodie AbrahamAlice BarrellierMarie Bellen RotgerAudrey BernardClaudine Bernfeld (présidente de l’Association nationale des avocats de victimes de dommages corporels), Daniel BernfeldFrédéric Bibal (responsable de la sous-commission groupe de contact des avocats de victimes au barreau de Paris), Helena Christidis (responsable de la sous-commission groupe de contact des avocats de victimes au barreau de Paris), Olivia Chalus-PénochetGérard ChemlaStéphanie ChristinFranck ColetteAurélie CoviauxFrédérique GiffardLucie HauffrayDominique OjalvoPauline Manesse, Olivier Merlin, Pamela Robertiere, Noëlle Tertrain et Isabelle Teste.

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